dimanche 3 janvier 2010

arrière-pays et monnaie de singe

Perdue dans les Alpujarras, j'ai trouvé mon pays intérieur, fantasmatique Barbarie où l'ici et là-bas se confondent dans la mémoire et dans l'absence.
(Série d'une centaine de petits formats 6,5 x6,5, monotypes et techniques mixtes, montés en accordéon sur tarlatane et ... dispersés auprès des amis pour célébrer l'an dix.)

Et c'est à la lecture de Bonnefoy que je dois ce passage d'Adèle, les chemins... qui date de 1983.
(Gabriel a échoué dans un bar orné de fresques, la Sybille.)
"Il avait bâti en Espagne des itinéraires tracés par ses lectures, à Tolède, ou au Prado, il eut encore la certitude qu’un regard tourné vers un lieu absent du tableau comme on lit au-delà d’une image, comme par une ligne on préfigure l’infini, s’insinuait dans sa mémoire.
A la Sybille, la fresque s’effacerait avec le temps, déjà elle se perdait dans les taches verdâtres qui ajoutaient des perspectives aux lieux que son auteur avait choisis. Une fente s’était ouverte qui donnait l’illusion d’un paysage dont l’horizon courait juste à hauteur des hanches de la Sybille. Là-bas, une femme inconnue marchait vers une ville effondrée que Gabriel voyait en songe dans les cratères du salpêtre, et l’air chargé de sable vibrait pulvérulent sur les ruines décollées des collines. Gabriel avait le souvenir d’y avoir perdu le souffle. Il cherchait une femme vêtue de transparence et qui disparaissait à la limite des paysages. Il s’était demandé pourquoi l’errance conduit toujours aux lieux où l’on s’atteint soi-même d’extrême nostalgie, comme en un point fixé d’avance par des dieux jusque-là muets, qui se contentent de boire quand ils ont soif et d’être courroucés. Il était triste infiniment."
M.Daumal, Adèle les chemins.

dimanche 6 décembre 2009

broussailles








Poussée, croissance à l'insu du regard quand tout semble mort. Désordre programmé où telles des paupières des lambeaux accrochés tremblent, déchirés. Ainsi tout se révèle-t-il, dans la plus belle indifférence.

samedi 14 novembre 2009

carnets de croquis (suite)








Quelques herbes négligées en bordure des chemins, cela suffit à mon bonheur.
J'ai beaucoup regardé les plantes et j'ai appris à les nommer, ces humbles. Aujourd'hui que ces noms m'échappent et que ne me reviennent que des syllabes en un chaos de sons proliférants, je me sens cet Adam qui retourne à la glaise, se prépare à l'oubli. Je me déprends du nom et s'apaise en moi le désir de posséder le monde.

jeudi 25 juin 2009

carnet de dessin





derrière ou devant la haie, Emma doute depuis trop longtemps...


vendredi 24 avril 2009

antipolis (2)

En 1969, donc, et surtout les après-midi d’hiver, les rues du Vieil Antibes semblaient dormir dans des murs délabrés.
Il y avait encore une herboristerie à l’angle de la place Nationale, si l’on voulait remonter par la rue Sade. Rue du Haut Castelet, après que s’y emmanche la rue des Revennes, la forge de Commodini soufflait, et un peu au-delà, le vieux Geloni sortait sa chaise en tripotant une cigarette pour suivre les jambes des filles de son regard que la chassie alourdissait. Sur le pas de sa porte, cela empestait le mazout et le vin aigre, Geloni, lui, sentait l’urine et la sueur, il marmonnait et mâchonnait on ne savait quels restes et des miettes tremblaient sur les poils durs de son menton.
Au bas du Cours Masséna, au milieu de la rampe qui rejoint par une porte voûtée la rue de l’Horloge et celle du Saint Esprit, vers trois heures, le soleil pouvait donner enfin sur la façade du marchand de couleurs.
Sans doute fûmes-nous, Josée et moi, parmi les dernières curieuses à mettre le pied dans cette boutique.
Inutile d’en chercher le souvenir, Antibes n’est plus qu’un lacis de ruelles qui suintent l’huile recuite et vomissent des pizzas. On ne devine même pas mon magasin de couleurs sous l "Irish Tavern » qui l’a remplacé.
Josée et moi, lorsque nous pénétrâmes chez le marchand de couleurs, rôdions depuis des jours sur les traces d’Audiberti.




mardi 14 avril 2009

antipolis (1)


En 1969, le vieil Antibes, comme nous appelions déjà cette partie de la ville qu’un morceau de rempart enserre sur le rocher, n’était guère qu’un village fatigué.
Il y avait peu encore, la Porte Marine ouvrait sur l’anse semée de pyramides grisâtres qui empêchaient à peine la mer, certains jours de gros temps, de venir s’écraser aux pieds de la chapelle Saint Roch. Cette anse, telle qu’elle m’apparut la première fois, le 9 septembre 1962, était plutôt lépreuse. La route, dite « du bord de mer » longeait le chemin de fer dont les talus étaient couverts de roseaux et de monceaux de détritus. L’anse se refermait sur les éperons du Fort Vauban, ensuite venait l’immense baie, et ses eaux, quelquefois écumeuses, se coloraient, vers La Fontonne, du sang des abattoirs.
Ne vous baignez pas là, disait ma tante. C’était impératif. Nous, les enfants, nous croyions que c’était à cause des tourbillons, parce qu’il y avait, «en face », une côte semblable, le long de laquelle était tracée une route dite « moutonnière », elle reliait Alger et Hussein Dey, et là, personne ne se baignait jamais. Vers La Fontonne, même si nous remontions au-delà de l’étroit tunnel qui permet aux piétons d’accéder à la mer, il arrivait que les flots dégorgent rouges sur nos culottes en coton.
Du sang s’écoulait entre les deux rives, et nous nous y baignions.
A la fin du mois d’octobre 62, nous quittâmes Antibes pour n'y revenir que sept ans plus tard.
De la route du bord de mer, seul le rivage m’intéressait, autant dire l’horizon, et ce vide où j’essayais d'inscrire les lignes de l’autre rive. Il me fallut encore quelques années pour me tourner, par-delà ces grèves désastreuses, vers les terres intérieures. Elles ne furent pas une évidence et je me suis souvent interrogée sur cette capacité que nous avons à effacer nos plaies.

dimanche 5 avril 2009

commandeurs

(victimes de commandeurs, pastel+aquarelle
sur papier Ingres, 15x15)



(grands commandeurs 100x80, acrylique sur papier)






Le monde se divise en commandeurs, petits ou grands, et en victimes de commandeurs.