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Elle est folle cette enfant ! Elle embrasse la
terre !
C’est ainsi que Blanche parla d’Ernestine, sa
fille, lorsqu’elles arrivèrent dans la maison de la côte. De la maison, Ana ne
se souvient pas. Elle ne se rappelle que le jardin. Infesté de capucines et
d’arums comme plus jamais elle ne devait en voir, il cachait sous un figuier
une petite construction où elles allaient répondre, un peu craintives, aux
nécessités de la nature, un cabinet. De là, on entendait la mer, celle qui
ourle, violette, le pays interdit.
« Elle
embrasse la terre ».
De cet originaire baiser, Ernestine garde le
souvenir tandis que les années déjà la confinent du lit au fauteuil de rotin et
du fauteuil à la table, grande, trop grande, où la gouge de l’artiste incrusta la
nacre dans l’ébène et dessina des guirlandes qui n’auraient jamais le parfum des
lys du jardin.
Ernestine n’aimait pas l’école. Elle embrassa
la terre. Elle fut curieuse des bruissements d’élytres et des pontes multiples
sur le revers des feuilles. Elle écouta la patience des bêtes qui vinrent loger
sur les bâtons qu’elle enfonçait dans la terre nue et dont, toujours,
jaillissaient des demeures, calices, cupules et ombelles que la rumeur du monde
faisait frémir. Chats, chiens, oiseaux venaient dans cette jungle entretenue
pour y trouver refuge et nourriture, amour et liberté.
Pour lire ce monde-là, Ernestine qui se
croyait aveugle n’avait guère besoin de lunettes. Rien ne l’aurait empêchée
d’entendre sur les cosses et au cœur des drupes la machinerie perpétuelle des
mutations, l’invisible labeur des chenilles au fond des labyrinthes de soie que
des « arianes » perverses, ses nièces en visite, s’amusaient à
défaire tout en poussant de petits cris scandalisés. Plus tard, dans son
laboratoire, penchée sur le binoculaire, elle épluchait sans cesse des caroubes
et préparait des niches pour les larves. Pendant que les insectes forniquaient
dans la tiédeur des alvéoles et qu’Ernestine comptait sans cesse les mâles et
les femelles, elle ne voyait pas que de grands bipèdes aussi se reproduisaient
et que le temps passait, et qu’il était si tard. Ernestine ne mit au monde que
des milliers de teignes. Elle les éleva et puis un jour il fut trop tard. Ana était juste "son enfant d'espoir".
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Parle, Ernestine, parle je t’en conjure.
Ernestine se tient hors du fracas, et
pourtant certaines nuits, elle graisse le cuir de godillots sans âge et se
dirige vers les ravins pour reprendre les couteaux qui tombent de la poche de
braconniers d’une espèce ensauvagée, de ceux qui glissent vers les douars aux
heures du sommeil. C’est son désert à elle. Elle jette les couteaux au fond des
puits, et sur chaque rocher, elle laisse une timbale d’eau, jusqu’aux terres
arables, vers la Mitidja, où elle écrit, en lettres démodées, sur des
ardoises : Terre et Liberté.
La Paix d'Izri. 2002
1 commentaire:
Los relatos parecen muy interesantes, una historia, imagino, de tres generaciones de mujeres muy diferentes. Me gusta Ernestine y su relación con los insectos... pero no sé francés :-(
Me gustan mucho las obras que tienes con texto e hilos rojos, suturas...
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