mercredi 4 février 2009

et rester en suspens sur l'écriture des lieux.


Evelyne Cail à la galerie Alain Paire
22 janvier - 5 mars 2009
http://www.galerie-alain-paire.com/







MD. col albert depuis les chalmettes-bois noir. croquis 20x15. 2008.

Pour remonter vers des vallées que verrouillent des chaos de marbres verts veinés de mauve, il faut suivre l’entêtement des eaux, la dure transparence des passages qu’elles arasent dans la patience des saisons. Parfois, ce n’est pas l’eau qui sourd du saillant des ardoises mais la racine d’un cembro rouge, au tronc terreux, comme frotté de sil. De terrasse en terrasse, les pins enserrent des éclats d’orgues qui s’élèvent vers les cimes où tremble le panache toujours poudreux des neiges inaccessibles. A certaines heures, c’est le rocher qui semble s’éclairer de l’intérieur d’une lumière opale à peine rehaussée par la blancheur du voile qui peu à peu se déchire en accrocs à ses dents, ses éperons, ses ergots, pour finir en lambeaux sur des pentes si raides qu’elles seront à jamais murailles, livrées au seul écho des aigles. De l’autre côté, sur le feuillet des dalles, au-delà du col où par deux fois, déjà, son pied se déroba, c’est l’Italie. Ana grimpe dans le silence. Elle suit le pas de ceux qui songèrent avant elle qu’il y a derrière les sommets une autre pente, comme il y a une autre rive, un appel qui impose au marcheur une nécessité qui ne se compte pas toujours en années de misère. Partir ne signifie pas chaque fois fuir. Certains ne s’arrêtèrent pas aux mollesses des prairies, à la douceur concave, rabotée jusqu’au pied des moraines, et poursuivirent encore, au-delà des diadèmes cruellement posés sur les fronts des rochers. Qu’allaient-ils donc chercher ces transhumants, les mains gantées de loques, les pieds chaussés de peaux, éclatés sous les ongles ? Quelle rage, quel désir en ceux-là que ne retint jamais en leurs cercles ultimes le tracé des frontières ? Déjà, sur des lignes de crête, au-dessus des vallées qui domptent la chevelure des fleuves, des rus, et des cours d’eaux, Ana connut l’ivresse de s’abandonner, de ne plus redescendre, de rester en suspens sur l’écriture des lieux.

muriel daumal. La Paix d'Izri, récit poème (extrait) 2003.





1 commentaire:

Anonyme a dit…
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