mardi 5 novembre 2013

les quinze, 3



Les Quinze. 3

 Les mules du courrier ont encore du retard. Elles ont laissé passer le dernier solstice et l’équinoxe et n’ont rien apporté. Tout a bien décliné à l’horizon et les jours s’assombrissent.
 De quinze qu’ils étaient, ils ne sont plus que douze dans la cordée : le hasard les avait désignés, le silence semble les disperser.
 Au lieu dit d’une des cartes, la main qui a jeté les dés -ou peut-être tiré les cartes-, cette main sismographe au bout de laquelle tremble une aiguille, a plongé sous les sables. Elle en a remonté des lambeaux. Oui, il y eut « quelque chose »… De ces lambeaux, on ne sait retrouver ni l’envers ni l’endroit : dans quelle langue écrit-on en ce lieu ?
 « On ne comprend rien », « où est-ce que ça mène tout ça ? »
Mais faut-il que « ça mène » pour tracer quelque chose ?

vendredi 10 mai 2013

robe de soi(e)





Robe de soi(e).

Tu la voulais ta robe de soie, robe de bure, trempée à l’encre des saisons, à la sueur des chemins. Et la voici qui papillonne, déchirée il se peut, mais encore frémissante. « Dans l’ourlet, il y a une pierre de jade », avait dit l’autre moi, la chance, c’était ce qu’elle avait dit, la chance, comme un caillou dans la chaussure. Elle est tombée dans le champ d’anémones, écrasée sous le pied d’un chasseur.

 Tu les voulais tes ailes couleur du temps. Les voici qui s’écaillent et bientôt ne poudroieront plus que de poussière, à peine soulevées par le vent.

 Je la voulais ma robe de moi, dans son jus, sa splendeur, et je la porte au-delà de ma voie.



Muriel Daumal. Avril 2013



dimanche 28 avril 2013

cartes de désorientation





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Les Quinze (2). Après l’équinoxe.

 Les mules du courrier ont du retard. Elles ont dû traverser le grand marigot. Les grenouilles font un tel vacarme à présent que Macario a bien du mal à les écrabouiller, il a de quoi soliloquer.
Au solstice d’hiver, de Quinze qu’ils étaient, peut-être ne sont-ils plus que treize. Comment savoir ? Certains avouèrent qu’ils n’avaient rien compris, d’autres ne répondirent pas. L’une se hasarda à appeler pour dire qu’en tout cas le quinzième -le traître- n’était pas chez eux. Un autre jura que Daumal était passé par là.
 Qu’importe ? Enfoncés jusqu’aux genoux dans la fange du marigot, ils errent, tournés vers Port aux Singes, ce nord magnétique où les poches sont si bourrées de money money que toutes les aiguilles s’affolent.
Pour leurs chemins de traverse, une carte confiée aux mules de la Poste, du moins un fragment de ce qui fut ou pourrait être un territoire, et pour leurs déchirures, des fils cousus à petits points.
 Voyageur insensé, l’un des Quinze veille et tire les cartes. Ne laissons pas la place aux diseuses de bonne aventure, aux faiseurs de miracles. Cherchons encore.

Muriel Daumal 

Sur nos déchirures cousons à petits points.L'envers valait l'endroit.

Support ivoire 21x14.5, étoffes et fils de soie teints par fermentation végétale, chemise de nuit de coton piétinée et maculée de taches indélébiles, sachets de thé, cartes IGN repeintes.


mardi 22 janvier 2013

Libraire ambulant

Des caisses forment bibliothèque. Elles sont empilées autour d’une planche posée sur des tréteaux contre la camionnette. C’est jeudi. Le ciel est dégagé, les neiges commencent à fondre sous le soleil qui sent venir les souffles de mars. Il est là, le libraire ambulant de Ceillac. Mauvais cheveux, mauvaise peau qui desquame et qui lui donne le teint gris. Il n’a pas lu tous les livres, seulement les meilleurs, sans doute les plus rares. Il parlera de peinture et de poésie, d’hommes qui vivent non loin au milieu des troupeaux ou de croupes neigeuses, écrivent sur les pierres comme sur les nuages et publient quelquefois chez un éditeur si petit que son nom nous est inconnu.
 L'été, le libraire monte vers les alpages et reprend son habit de berger.

Muriel Daumal.

samedi 12 janvier 2013

mercredi 2 janvier 2013

le fil

 Au cours de tout ce temps, le fil aurait pu rompre, Ariane, que faisais-tu ?

*   *   *

Quinze, série de quinze petits formats qui partiront par la poste, collages, couture machine et main, soies teintes par fermentations végétales.


Les Quinze.
 Certes, tous n’avaient pas lu Tlön, Uqbar, Urbis tertius et tous ne se connaissaient pas. Les uns ne doutaient pas d’en être. Les autres se demandaient comment le hasard les avait désignés ou plutôt leur avait assigné cette place qui désormais serait la leur, ici, parmi les Quinze.
 Trois dés d’ivoire dans un gobelet de corne. Trois combinaisons : 3, 6 ,6 ou 4, 5, 6, ou encore 5, 5, 5. En soi déjà tout un prodige.
 Rien ne les avait rassemblés à ce jour sinon ce coup de dés.
 Cinq d’entre eux étaient la mémoire des pierres, neuf autres l’ombre de l’épée et celle du vent, les sentiers qui bifurquent, cet air de tango gisant sur les trottoirs de Buenos Aires et le quinzième le parfum de la trahison.
 Qu’importe ? Les voies ne sont-elles pas impénétrables ?
 Ils recevraient tous l’héritage : à chacun un coupon rescapé du naufrage, et le fragment d’une carte, peut-être un continent.
 Certes, tous n’étaient pas des arpenteurs de Babel l’incommensurable, mais voilà que le sort en faisait les dépositaires de coordonnées qui échapperaient aux satellites, aux grands calculateurs.
 C’était cela. Parmi tous les possibles, ceux-là n’étaient pas des calculateurs, voilà ce que le gobelet disait. Et leur tâche à présent serait de retrouver le continent.

 Muriel Daumal. 1er janvier 2013