mardi 22 avril 2008

graphes


Ses routes ont changé, reliant comme des couloirs les pôles d’activité, c’est ainsi qu’il faut dire, et c’est ainsi qu’elle dit.
Pourtant, le long des autoroutes, Ana ne lit qu’un seul parcours, rapidement tracé par un acrobate fou qu’elle imagine en veste et en chaussures noires, qui balbutie sur les panneaux : Je t’aime. Ainsi sous Aix-centre : Estelle, je t’aime, ainsi aux Quatre-Chemins : Selma, je t’aime. C’est cela qu’elle regarde, en dépit d’autres inscriptions, ces graphes colorés après Plan de Campagne, qu’elle ne déchiffre pas, qui crient aux chauffeurs sourds leurs harmoniques bleues, et puis plus loin, à mesure qu’elle approche de Marseille, ces brèves injonctions qui jalonnent le trajet, sur l’autoroute Nord : les Arabes dehors ! Ce brouhaha du monde, cette Babel d’impuissances, sa ponctuation et ses ratures, ses taches, ses ordures.
Sa ville à elle, pourtant, n’était pas faite de silences.
Il y avait des cœurs sur les murs des immeubles et les formes troisièmes pour exporter l’amour des autres : Léa aime Paul, Majnoun et Laïla, et des flèches barbées en plein milieu des cœurs, dérobant la parole par tous leurs hiéroglyphes. Des pratiques secrètes, des rites incantatoires pour inscrire sur les choses un infini désir. Il y avait, dès les premières lettres apprises à lécole, des équations inscrites à la craie : X+Y = amour. Des formules magiques, livrées au ruissellement et à l’obscénité. Ana toujours regarda faire, elle n’écrivit jamais, non qu’elle n’aimât personne, mais ses amours à elle étaient inavouables.

- J’ai mal à l’âme, disait-elle.


extrait de La Paix d'Izri, récit-poème, M.D.

1 commentaire:

Sonja♥ a dit…

"J'ai mal à l'âme"....
Très interpellant....